Revue de presse

Moto 1 (n°6 de Mars 1983)

Enfin du nouveau à l'ouest !

En pleine période de crise économique, alors que les grandes entreprises éprouvent de graves difficultés ; comment un petit fabricant artisanal de motos, parvient-il a la réussite ? C'est ce que nous sommes allés demander à Georges Martin.

En Vendée, au bord de l'Atlantique, dans zone industrielle d'Olonnes, sur une surface de 1 300 m3, se dresse l'usine qui abrite la fabrication des motos Martin. C'est là, au milieu des postes à souder, des machines à découper et des cintreuses, que nous avons rencontré " Jojo" alias Georges Martin.

La toute nouvelle Martin à nue (roue de 16 pouces, étrier Brembo 4 pistons)

GEORGES, C'EST POUR QUAND LES 39 HEURES?

Une grosse surprise nous attendait dès notre arrivée.
En effet, alors que nous pensions pouvoir discuter tranquillement avec "Jojo" dan son bureau, nous avons découvert un atelier rempli de blouses bleues, un client venu de Bordeaux demandant des conseils pour la fabrication du cadre de sa Trident, et trois allemands venus prendre livraison de dix motos.
Ayant réussi à repérer notre homme dans cette agitation, je l'interpelle
- "Georges, c'est pour quand les 39 heures ?"
Un peu surpris, il lève la tête
- "Si tu parles des 39 heures par jour c'est bon ! Tu sais je me lève à 6 h 15 et je ne me couche jamais avant 23 h".
"Alors ça marche plutôt bien pour toi".
- "Oui. On ne peut pas se plaindre. Depuis 10 ans que j'ai crée Martin Produc-tion, j'ai vendu 3 600 motos. Mais on pourrait peut être parler de tout ça en déjeunant? Si vous voulez en attendant, je vais vous faire visiter l'usine ".

Suivant le Maître des lieux, nous commençons la visite.

- "Là, vous avez les tubes en 25 CD 4S"
- "Je croyais qu'ils étaient en acier" ironise Marc.
- "J'ai aussi du tube rectangulaire qui est fabriqué spécialement pour moi... Quand tous les tubes ont été découpés, nous les passons dans cette cintreuse numérique puis nous les soudons. Pour l'aluminium, j'ai 2 postes à argon TIG qui n'est pas le même que l'argon..."
Là s'en suit une explication détaillée des différentes sortes de soudure, qui, je dois l'avouer, m'a un peu échappé.

- "Evitez de prendre des photos de trop près - demande Georges à Marc - car je préfère garder mes petits secrets de montage&ldots; Ce n'est pas que j'ai peur des espions, mais on ne sait jamais ".
Notre agent très spécial ne prendra donc que des photos autorisées car nous ne voulons pas, que par notre faute, le coup du Tupolev se réédite...

Nous voici arrivés au bout de la chaîne où les cadres à l'état brut sont stockés avant de subir la protection de surface. Après quoi ils partiront dans un autre bâtiment afin d'être montés.

- "Je vous emmènerai voir la finition cet après-midi car j'ai quelques coups de téléphone à donner. Regardez ce qui vous intéresse mais pas trop de photos..."
Marc essuie une larme à regret et range son Minox dans sa poche revolver. Profitant de cette liberté d'action, nous furetons à la recherche d'un scoop - ce n'est pas tous les jours que Martin laisse entrer des journalis-tes dans ses ateliers - mais avant que nous ayons fait le tour des coins et recoins, Georges revient et nous invite à déjeuner.

D'un air détaché, je l'interroge
- "Et cette 250, on peut la voir ?"
Son regard inquisiteur se pose sur moi
- "Quelle 250 ?"
- "Ah ! Il n'est pas au courant, il n'a pas dû lire le journal ! plaisante Marc. Mais voyons, une 250 à moteur Rotax, ça ne te dit rien ?"

La réponse tardant à venir, nous partons déjeuner - quand je dis " partons ", je devrais dire nous essayons de partir, car Georges n'arrive pas à mettre la main sur le double du double des clés de sa voiture...
- "Je reviens d'un salon en Suède et je me suis tout fait voler dans ma chambre d'hôtel à Stockholm. Je me suis rendu à l'Ambassade de France pour demander un billet de retour ! Arrivé à Paris, j'ai raclé le fond de mes poches pour prendre un taxi jusqu'à Roissy, mais une fois à Nantes plus de voiture... J'en suis à mon 3ème jeu..."

A NOUS LES HOMARDS

Avec un peu de patience et de bonne volonté, nous partons... Manque de chance, le restaurant prévu est fermé... Qu'à cela ne tienne, nous irons dans une pizzeria manger des pâtes au bord de la mer, quand vous venez de faire 500 km, il y a plus sympa, tant pis. Damned ! La pizzeria est également fermée ! A croire que les gens ici ne mangent que pendant les 2 mois de vacances&ldots; -Georges parvient à nous dégoter un petit resto sur le port. A nous les fruits de et autres homards !!!

Nous passons à table et examinons avec appétit la carte proposée. La serveuse s'apprête à prendre notre commande.
- "Pour moi, un plateau de fruts de mer. Et toi Marc ?"
- "Non, non ! s'exclame Martin ; Si vous voulez être à l'usine à 14 h, vous n'aurez jamais le temps de manger tout çà. Apportez-nous des sardines et du colin avec une bouteille de réserve !"
Adieu huîtres, crevettes, langoustines. Bonjour les sardines...En attendant le premier plat, j'interroge Georges

- "Où en est Martin Production depuis sa création en 1972 ?"
- "Et bien, j'ai aujourd'hui 24 ouvriers dans mon usine et je réalise un chiffre d'affaire d'un milliard 500 millions d'anciens francs".

- "Quelle est ta production annuelle ?"
- "Depuis 3 ans je vends 600 motos par an"

- " Quels sont les pourcentages de vente à l'exportation ? "
- " Je vends 50 % de ma production en France, le reste allant pour 30 % en Allemagne -et 20% se divisent entre la Suisse, la Belgique, les Etats-Unis, l'Australie et même Nouméa..."

- "Aurions nous affaire à une Multi-nationale ?"
- "Pas du tout - s'empresse de nous rassurer Martin; mais une entreprise qui veut survivre est obligée d'exporter car le marché français n'est pas suffisant"

La crème anglaise avalée à grands coups de cuillère, nous repartons à l'usine. Les Allemands font les 400 pas devant la porte, impatients de l'arrivée d'Her Doctor Martin, pour retirer les 10 motos qu'ils ont commandées.

- "Tu parles allemand, toi ?" demande Georges
- "Non. Et toi ?"
La scène de mimes qu'entreprend alors Martin pour leur expliquer ce qu'ils doivent faire pour amener le camion et charger motos, est digne des meilleurs Charlots et Buster Keaton.

S'étant enfin fait comprendre, nous le rejoignons dans son bureau.
- "Quels sont tes projets ?"
- "J'ai en chantier un nouveau cadre avec un mono amortisseur baptisé Uni-Flex, des roues de 16 pouces, des étriers de Brembo à 4 pistons. C'est pour une monoplace sportive car nous voulons prouver que Martin est capable de faire du haut gamme"

- "Et la course ?"
- "J'ai aussi prévu la construction d moto de production pour le championnat -de France. Mais rien n'est défini. Tiens, faut que je vous montre mon nouvel ordinateur, avec lequel je fais tout. J'ai mis 6 mois à apprendre comment m'en servir, maintenant ce n'est plus un problème. Tous mes clients sont répertoriés et classés, mes agents aussi, j'en ai 700. C'est du sérieux".

En effet, Martin semble avoir le souci son image de marque. Si vous avez des problèmes avec la tige de bras oscillant de votre Martin modèle 73, vous écrivez en donnant les renseignements et aussitôt Georges codifie, connecte, déconnecte, met en mémoire, appuie sur la touche "shoot again" et vous voi1à dépanné dans les plus brefs délais.

Par la fenêtre du bureau j'aperçois dans un coin de l'atelier une 250 Honda ATC. Martin aurait-il décidé de frapper dans le domaine des 3 roues ? Non, avec 4 autres compères, ils ont crée le "Flying Beans".
- "Tu veux l'essayer ?" me propose Georges
- "Tu sais, moi ce genre d'engin... Mais tu insistes..."

Aussitôt dit, aussitôt fait. Georges démarre l'ATC et part le faire chauffer. Attirées par le bruit et la fumée de l'insolite engin, les quelques personnes présentes dans la zone industrielle, s'attroupent. Il n'en faut pas pour que Martin tente une démonstra-tion de roue arrière. Tentative qui se solde par un splendide saut arrière carpé avec arrivée sur le postérieur. Sous les applaudissements nous décidons de remettre à plus tard un essai plus approfondi.
- "C'est dommage que vous ne soyez pas là demain, car nous partons jusqu'à Noirmoutier par la plage; une balade de 100 km..."
Lorsqu'il ne dessine pas des cadres, Martin pratique la moto pour son loisir.
- "Vous savez, cela ne fait qu'un semaine que nous avons acheté ces engin diaboliques, je manque encore d'habitude mais revenez dans deux mois, l'ATC n'aura plus de secret pour moi !"

J'en suis également certain, car Martin fait partie de ces hommes qui, quoiqu'ils entreprennent, le font jusqu'au bout. Lorsque l'on tente d'expliquer la réussite de ce homme de 33 ans, un seul mot s'impose, c'est le même qui justifie la fabrication d'une Martin "Passion". Car rien de grand et de durable ne peut réussir les hommes qui choisissent l'aventure n'ont pas votre passion Monsieur Martin !

 

Eric Courly - Moto 1, n° 6 de Mars 1983